L’expérimentation sur animaux est largement utilisée en
recherche biomédicale, en recherche toxicologique (que certains mettent dans la
case recherche biomédicale) et en recherche vétérinaire .
Dans ce domaine, deux grandes visions, que je vais très brièvement
résumer, s’opposent.
La première est la vision réglementaire
et/ou légale et
que l’on résume par le sigle des 3R (que mon invité détaillera). Cette vision
indique que la dignité des animaux utilisés est respectée par les chercheurs si
l’utilisation de son être est justifiée par des intérêts apportés à la société
humaine. C’est ce que le droit suisse nomme « la pesée des intérêts ».
Dans cette « pesée des intérêts » la loi intègre la notion
« d’indispensabilité ». Plus clairement, la législation suisse
indique que la recherche peut utiliser un animal si et seulement si la société
humaine y trouve un bénéfice (le plus souvent médical ou de sécurité
alimentaire) et qu’il n’existe aucune autre alternative pour ces recherches à
l’utilisation animale. Cette vision, d’une certaine façon, oppose donc l’animal
et l’humain puisque le second utilise le premier pour son intérêt. La limite
ici est le modèle animal utilisé. Un mauvais modèle ne permettra pas d’apporter
une quelconque réponse à une question scientifique possible et les individus animaux
seront utilisés pour rien. Si techniquement la loi devrait vérifier les modèles
proposés pour diminuer le nombre d’individus utilisés, dans de nombreux cas, le
bénéfice paraît si important que l’on ne pèse nullement l’intérêt du modèle
proposé. Je pense notamment aux modèles utilisés en cancérologie
La seconde vision, celle de mon
invité mais il la définira bien mieux que moi, indique que l’humain ne doit pas
utiliser l’animal à son profit. A tout le moins, ne devrait pas le faire
souffrir pour en tirer un quelconque bénéfice. Il n’y a pas ici d’opposition
entre l’humain et l’animal. La limite ici est l’expérimentation sur l’humain
lui-même. Cette limite a été démontrée lors du vote du 13 février 2022 en
Suisse. L’initiative 1 avait en effet pour titre « initiative populaire
interdiction de l’expérimentation animale et humaine ». Les porteurs
de cette initiative souhaitaient aussi l’interdiction des essais cliniques
s’ils ne sont pas effectués dans le cadre d’une médecine dite « personnalisée ».
Plus exactement, dans le texte de l’initiative il est écrit que (je cite)
« les expérimentations animales et humaines sont intéressantes d’un
point de vue marketing ou juridique ; elles sont toutefois trompeuses en
ce qui concerne la santé. L’expérimentation humaine ne fournit que de vagues
valeurs moyennes. Elle n’offre aucune garantie pour le traitement des individus ».
Plus loin, le texte indique que (je cite toujours) : « La
protection des animaux et des humains est actuellement insuffisante. Les
animaux sont privés de leur liberté, d’un développement normal et de leur
intégrité émotionnelle et corporelle. Les humains incapables de donner leur
consentement ou mal informés sont eux aussi insuffisamment protégés. Avant une
expérience, personne ne peut prédire quels patients en particulier subiront des
souffrances ou des dommages psychiques ou physiques ». Mon invité nous
dira ce qu’il pense de ce point.
Une troisième vision,
ultra-minoritaire, celle d’un biologiste pur, est que toute vie utilise toute
vie pour son propre profit. La vie est continue et tout individu se sert d’un
autre pour sa survie et la survie de son espèce via l’alimentation, la
protection contre le froid, la santé. La limite de cette vision est que tout,
même la pire horreur, devient acceptable.
Mais tout n’est pas acceptable et
tout doit donc être débattu. Aujourd’hui, avec Nicolas Marty nous vous
proposons un débat qui a pour question : « Expérimentation animale
en Europe: mieux l'encadrer ou l'interdire? ». Si l’on parle de
l’Europe c’est parce que Nicolas est un militant en France et moi un
postdoctorant en Suisse. Ce qui va être intéressant ici est que Nicolas maîtrise
les lois, leur historique et la philosophie derrière cette expérimentation
animale. Moi, en tant qu’utilisateur d’animaux pour mes recherches, la
technicité et la méthodologie sur les recherches animales. Ce que j’aime chez
Nicolas c’est sa précision et sa restriction à ce qui se passe en France.
Avant de lui laisser la parole,
et pour éclairer un peu mon positionnement, je vais vous parler de mes
recherches antérieures et actuelles. J’ai débuté ma carrière par un travail sur
la mise au point de deux méthodes alternatives à l’utilisation animale. La
première pour un organisme public, feu l’Afssaps, devenu l’ANSM après le
scandale Médiator. A l’époque, en Europe, on utilisait des lapins pour vérifier
la quantité de pyrogénes sur les médicaments disponibles sur le marché. A
savoir que les pyrogénes conduisent à des chocs anaphylactiques et donc au
décès du patient. Aux USA, ils utilisaient du sang de limule, un crabe. En
collaboration avec une équipe à Genéve et une équipe à Berlin, j’ai travaillé
sur une méthode de quantification des pyrogénes sur du sang humain. Depuis
2012, cette technique est utilisée en France. Les lapins ne le sont plus. Pour
l’industrie pharmaceutique, la compagnie Pierre Fabre, j’ai travaillé sur une
méthode de quantification de possibles interactions médicamenteuses. A l’époque,
c’est-à-dire avant la mise en place de méthodes de remplacement, on utilisait
des chiens. En interne j’ai élaboré une méthode utilisant des cellules de foie
humain provenant de donneurs souvent en mort cérébrale. Pendant ma thèse j’ai
travaillé sur du tissu humain et là j’ai commencé à vouloir travailler sur
animaux. Pourquoi ? Parce que dans le domaine de l’endocrinologie et de la
physiologie il y a une certaine frustration de ne pas pouvoir travailler sur un
organisme entier. Les questions posées seront plus restrictives de fait et les
réponses parfois inexistantes. J’ai donc cherché un post-doc durant lequel je
pourrais étudier un organisme entier. Aujourd’hui, je travaille sur rongeurs,
depuis 3 ans donc, et comme la plupart des chercheurs je m’interroge sur nos
pratiques. Notamment les sacrifices. Je ne vois pas les associations de défense
des animaux comme des adversaires mais, au contraire, comme des organisations
complémentaires au monde de la recherche. A la condition qu’il y ait une
compréhension du monde de la recherche. Et, à la condition de ne pas tomber
dans certains extrêmes. Ce qui, à mon sens, est le cas de l’initiative du 13
février. Certains militants ont, lors des débats que nous avons eu sur des
marchés, traité les chercheurs de « génocidaires ». La
complémentarité me semble difficile à voir en ce cas. Mais les chercheurs ont
souvent aussi des mots très durs envers les défenseurs des droits des animaux.
Les échanges sont nécessaires. Et Nicolas et moi vous en proposons un
aujourd’hui. Ainsi, vous comprenez que pour moi l’expérimentation animale
peut-être substituable parfois, nécessaire parfois également. La notion de
nécessité sera discutée.
Paul-Emmanuel Vanderriele